Projet Racine
Quelques explications en lien avec le projet d'appropriation citoyenne des réseaux fibre optique dans l'Yonne
- [Projet Racine] Comprendre les réseaux
- [Projet Racine] Découvrir les usages
- [Projet Racine] Les enjeux politiques et financiers
[Projet Racine] Comprendre les réseaux
La base
Un réseau permet de faire communiquer des machines entre elles et, par extension, les hommes qui les utilisent. Ni plus, ni moins.
Un scoop : Internet n'existe pas
Lorsqu'on est devant son ordinateur ou son smartphone, on "va sur internet". En dehors de quelques geeks dont c'est le métier, bien peu de personnes parviennent à percevoir la réalité qui se cache derrière ces concepts qu'on nomme 4G, modem, wifi, routeur ou fibre. Pour couronner le tout, rien (ou presque) n'est fait pour faciliter la compréhension et l'appropriation.
On a donc recours à des punchline un peu marquantes comme celle de ce chapitre : internet, ça n'existe pas. Ce qu'on nomme Internet est en réalité une myriade de plusieurs dizaines de milliers de réseaux autonomes qui ont, bon gré mal gré, convenu d'utiliser un minimum de normes communes pour permettre aux divers ordinateurs qu'ils relient de pouvoir communiquer les uns avec les autres.
Pour permettre cette communication, un protocole est au cœur de tout ça : IP (Internet Protocol) qui permet aux opérateurs d'affecter une adresse à chaque ordinateur pour lui permettre de communiquer avec ses congénères. Chaque opérateur gère son propre stock d'adresse et décide, ou pas, de se connecter avec un autre opérateur pour échanger du trafic.
SCANI est un réseau autonome (numéroté 201080, les geeks aiment bien les numéros) au même titre que celui de Free (numéroté 12322), de Renater (le réseau universitaire Français, numéroté 2200) ou encore Aether, opérateur Australien (numéroté 139049). Si on devait pointer du doigt internet, pour lui donner une existence, il faudrait montrer du doigt tous les câbles qui relient les opérateurs entre eux, et il y en a ... des centaines de milliers.
On s'imagine souvent que lorsqu'on regarde une vidéo sur Youtube, elle vient tout droit de la Silicon Valey à travers les gros câbles qui reposent sur le fond des océans pour finir sur notre petit écran. La réalité est tout autre. S'il est fort probable que le fichier qui contient cette vidéo a probablement à un moment fait un tour aux États Unis, le fichier qui arrive sur notre ordinateur au moment ou on clique sur la vidéo, il vient d'un serveur situé à Paris ou à Lyon, voir même bien plus proche de chez nous dans certains cas.
Tentative de représentation d'un petit morceau d'internet
Structure d'un réseau autonome
Vous l'aurez compris, Internet est composé de multiples opérateurs. Cela ne veut pas dire que chacun s'amuse à poser des câbles partout. En France, il y a trois grands acteurs qui s'occupent de cette mission : Orange, qui a hérité de l'ancien réseau téléphonique qui va déjà un peu partout, la SNCF, qui a installé une grande quantité de câbles tout le long des voies ferrées et les société autoroutières qui ont fait pareil le long des glissières de sécurité (vous avez peut être parfois remarqué ces lignes vertes peintes au sol aux abords des bornes d'appel d'urgence : elles indiquent le cheminement des fibres optiques sous la route)
Ce réseau très physique, puisque ce sont des câbles qui contiennent des fibres, est ensuite exploité par une grande quantité d'acteurs. Pour vous aider à appréhender la chose, prenons l'exemple de SCANI dans la zone du grand Auxerrois en partant de chez Mariane qui habite à Saint Georges et qui vient de démarrer une soirée Netflix :
- Elle dispose, comme tous les autres membres de SCANI, d'un routeur qui lui permet de se connecter en wifi
- Ce routeur est connecté à une antenne située sur son toit
- Cette antenne est connectée en radio à une seconde antenne située sur une tour entre Auxerre et Saint Georges, cette antenne reçoit les connexion venant d'une dizaine d'autres membres en plus de Mariane.
- Une troisième antenne connecte cette tour à un bâtiment situé dans la zone industrielle des Champoulains, ou se trouve donc une quatrième antenne qui, elle même, outre la tour, reçoit également des connexions venant d'autres relais situés dans Auxerre
- Ce bâtiment est connecté en fibre optique au central téléphonique du quartier qui appartient à Orange (à cet instant, les données que Mariane échange avec le reste d'Internet sont toujours "sur le réseau de SCANI" mais celui-ci est "transporté par Orange", aux côtés d'autres flux de donnés que d'autres opérateurs ont demandé à Orange de transporter)
- De ce central téléphonique, Orange transporte les données de Mariane (et des autres membres de SCANI dans le secteur) jusqu'à un central téléphonique régional (on les nommes SRTHD) situé à Dijon
- À quelques centaines de mètres de ce central téléphonique, on trouve un centre d'hébergement de données (les fameux "datacenters"), propriété d'une entreprise nommée Cogent, dans laquelle il existe une connexion entre le réseau d'Orange et le réseau d'un autre opérateur français : Ielo. Le réseau de SCANI "saute" donc du réseau d'Orange à celui de Ielo
- La suite du trajet dépend de la disponibilité des réseaux, on va simplifier sinon ça va faire 12 pages : Ielo utilise différents opérateurs de transport (probablement, entre autre, Orange et APRR qui exploite les autoroutes dans le secteur) pour ramener le réseau de SCANI jusqu'à Paris. Il existe deux circuits principaux : via Lyon (oui, ça semble idiot), et par Besançon et Strasbourg
- Une fois arrivé à Paris, Ielo et SCANI ont interconnectés leurs deux réseaux à deux endroits : rue des Jeuneurs et boulevard Voltaire. SCANI a installé un routeur à chacun de ces deux endroits pour pouvoir "remettre la main" sur le trafic de ses membres et se connecter avec 3 ou 400 autres opérateurs directement et, indirectement, avec les dizaines de milliers d'autres.
- Un de ces opérateurs avec lequel nous sommes connecté directement est Netflix, qui dispose de gros serveurs, hébergés à quelques mètres du réseau de SCANI, et qui contiennent toutes les vidéos les plus demandées, dont celle que Mariane regarde. Netflix renvoi donc à SCANI, par petits bouts, la vidéo de Mariane. Ces petits bouts refont l'ensemble du trajet expliqué plus haut pour finir par arriver sur le smartphone de Mariane.
La même chose peut être expliquée pour Julien, habitant de Toucy et abonné chez Free qui va regarder une vidéo Youtube connecté en 4G, les trajets et les technologies de transmission sont différents mais le principe reste le même.
Vous comprenez maintenant un peu mieux l'image ci-dessus. La conclusion est qu'un réseau, quel qu'il soit, est en gros similaire à un arbre, les données suivent des axes de plus en plus gros et qui agrègent de plus en plus de trafic jusqu'à une sorte de cœur du réseau qui va être connecté à d'autres opérateurs.
Les fournisseurs d'accès et les hébergeurs
D'un point de vue technique, aucune différence. Un réseau fonctionne de la même façon, qu'il serve à connecter les gros serveurs de Youtube qui sont remplis de vidéo ou des abonnés à l'ADSL ou à la fibre. Le plus souvent, un opérateur réseau a un métier principal : soit il fourni de l'accès internet, soit il fourni de l'hébergement. Les premiers vont chercher de l'information chez les second.
Mais on peut par exemple noter que dans certaines zones des États Unis, Google tient le rôle de fournisseur d'accès internet et dispose donc d'un réseau qui sert à la fois à héberger des données et à fournir des connexions internet à des abonnés. À l'inverse, SCANI, dont le réseau a principalement pour but de fournir de l'accès internet, dispose d'infrastructure d'hébergement de sites et de services pour ses propres besoins et permet à d'autres structures de connecter leurs serveurs.
Méthodes d'accès à un réseau
On se rapproche, ici, un peu plus du domicile de chacun. Nous allons parler du fameux "dernier kilomètre". Celui qui vous permet d'avoir internet à la maison.
Jusqu'au début des années 2000, on accédait principalement aux réseaux avec un modem qui chantait sa petite chanson à chaque connexion, qui occupait la ligne téléphonique et qui, sans qu'on en ai vraiment conscience à l'époque, était plus que lent pour transmettre de l'information.
Avec l'arrivée de l'ADSL, on a pu augmenter les débits disponibles, libérer la ligne de téléphone (le principe de l'ADSL étant d'utiliser les fréquence plus haute que la voix humaine pour transmettre de l'information) et surtout mettre en place des connexions permanentes.
Mais il existe bien d'autres façons d'être connecté à un fournisseur d'accès. Par exemple :
- Le câble : à l'origine déployé dans certaines villes pour distribuer la télévision à travers des câbles coaxiaux, c'était notamment le cas à Saint Florentin et à Villeneuve sur Yonne. De la même façon que l'ADSL a permis un double usage téléphonie / réseau des lignes de téléphones, le DOCSIS a permis de mélanger la télévision et le réseau sur les câbles installés
- Le satellite : à l'origine déployé pour transmettre également de la télévision, il a d'abord été utilisé uniquement dans le sens descendant, ce type d'installation étrange faisait passer le trafic montant vers internet à travers une ligne téléphonique et le trafic descendant à travers un satellite. Depuis, on est parvenu à faire transiter également la voie montante par le satellite. Le gros défaut est le temps nécessaire aux données pour faire l'aller/retour avec la stratosphère, 36000km, parfois jusqu'à une seconde entière, alors que les autres méthodes oscillent généralement entre 0.009 et 0.05 secondes pour se promener un peu partout en France.
- Les faisceaux laser : un peu désuets de nos jours, le principe était le même que la fibre optique mais dans l'air. Le soucis de cette technologie, c'était le mauvais temps qui coupait les connexions
- Les pigeons voyageurs : c'est très sérieux. Même si peu utilisé, des équipes de geeks fêlées ont mis en œuvre un véritable réseau à base de cartes mémoire accrochées à des pattes de pigeons. Le débit est excellent sur de courtes distances mais le système souffre de pertes de données conséquentes
- La radio : massivement utilisée par SCANI, mais aussi par les opérateurs de téléphonie mobile. Les technologies employées sont très différentes, mais le principe reste le même : un émetteur, généralement situé en hauteur, a pour mission de connecter un certains nombre de récepteur (dans le cas de SCANI, une antenne sur le toit, dans le cas d'un opérateur mobile, un téléphone)
Transition de l'ADSL à la fibre
Comme expliqué précédemment, le principal problème de l'ADSL est la distance qu'il permet de couvrir. La fibre a le même problème mais la distance à partir de laquelle ça devient difficile est bien plus grande. La transition de l'un à l'autre suppose de rajouter des câbles contenant des fibres en remplacement de ceux, actuellement en place depuis 1970, contenant du cuivre.
Évidemment, on ne peut pas, un beau matin, remplacer les câbles. La période de transition s'étalera sur plusieurs années voir décennies et les anciens câbles ne seront probablement jamais démontés en totalité avant 20 ou 30 ans. En effet, avant d'éteindre l'ancien réseau, il faut que l'ensemble des usages qu'il supporte aient migré sur le nouveau.
Pour votre connexion internet, c'est simple, la fibre arrive, on change la box, et c'est fini. Mais pour une pompe de relevage dans une station d'épuration, il faut parfois changer totalement la pompe pour pouvoir la connecter au réseau fibre pour pouvoir la surveiller et la piloter à distance.
Adéquation des réseaux et des besoins
A ces difficultés dans la transition vient s'ajouter une question cruciale : est-ce que nous avons réellement besoin d'un réseau fibre qui va totalement remplacer le réseau cuivre ?
- Quelle est l'intérêt d'un réseau ultra performant s'il s'agit de connecter un appareil qui compte les voitures sur le bord d'une route ?
- Est-il bien prudent de faire dépendre la totalité de nos communications d'un réseau qui, bien que beaucoup plus performant, est également beaucoup plus fragile et difficile à réparer (lorsqu'un câble téléphonique est cassé, un simple domino suffit à effectuer une réparation de fortune. Pour une fibre, il faut tout un attirail de soudure et de compétences peu répandues pour effectuer la même réparation) ?
- Est-il vraiment nécessaire d'investir immédiatement autant d'argent pour un réseau couvrant à 100% le territoire alors qu'on sait fort bien que 100% des habitants n'ont pas besoin de ce type de performance ? Ne pourait-on pas être plus ciblés dans l'investissement tout en prévoyant l'accroissement futur ?
Souplesse et agilité
C'est toute l'histoire de SCANI : utiliser au mieux les moyens disponibles (argent, temps, compétences, ...) pour répondre aux besoins existants (connexions à internet) tout en essayant de prévoir au mieux le futur.
Dans le cadre du déploiement fibre, SCANI entends entretenir la complémentarité avec les autres méthodes d'accès (ancien réseau cuivre, radio, ...) pour que le usages de chacun soient possibles sans que l'investissement ne devienne délirant.
Nécessité d'une maîtrise locale
Enfin, et c'est notre petit côté "localisme", il nous semble important que les réseaux ne soient pas tous aux mains de grosses entreprises déshumanisées et multinationales qui n'ont que faire des problématiques locales.
On comprends fort bien qu'il faut permettre à chacun d'avoir "Internet by Orange" s'il le souhaite, mais il est également important de garder un bon niveau de maîtrise des réseaux qui prennent de plus en plus d'importance dans nos vies, ne serait-ce que pour pouvoir continuer à communiquer en cas de grosse crise.
[Projet Racine] Découvrir les usages
La fibre, ça sert à quoi ?
Essentiellement à "aller plus vite". Les connexions internet classiques actuelles (aDSL et vDSL) souffrent d'un défaut principal : leur vitesse est dépendante de la distance entre le central téléphonique et le domicile. Pour faire simple, en dessous d'un kilomètre, ça se passe plutôt bien, entre 1 et 5km c'est assez variable et au delà c'est la galère. Passé 6 ou 7 kilomètre ça ne fonctionne tout simplement plus du tout.
La fibre optique souffre des mêmes difficultés mais sur des distance bien plus élevées. On sait parfaitement aujourd'hui transmettre de l'information sur une fibre optique sans aucune perte de performance sur plusieurs dizaines de kilomètres. Une startup française a même mis au point un canon optique capable de transmettre sur plus de 1000km d'un seul coup.
Bref, on ne s’affranchit pas totalement du problème de distance mais on le repousse bien plus loin.
Quels autres usages ?
Cette absence de perte sur de plus longues distance ouvre la porte à de nombreuses possibilités pour un usage classique d'internet à la maison : les pages se chargent quasi instantanément, on peut envoyer bien plus rapidement des données, le petit dernier qui joue aux jeux vidéos n'embête plus maman qui est en conférence vidéo en télétravail ... Mais tout ceci n'est que la partie immergée de l'iceberg que tout le monde attend avec impatience. Il y a bien plus.
Vous l'avez peut être compris, installer la fibre, c'est avant tout fabriquer à partir de rien un tout nouveau réseau. Et lorsqu'on part d'une feuille vierge, il est temps de ne pas reproduire les erreurs du passé.
Les réseaux privés
Puisqu'on peut aller beaucoup plus loin sur une même fibre, pourquoi ne pas envisager de relier entre eux tous les bâtiments publics pour permettre aux informaticiens de nos villes et de nos campagnes de pouvoir gérer leur réseau eux-même sans dépendre d'un opérateur lointain qui mettra du temps à venir réparer en cas de problème ? C'est également un plus à l'heure ou l'opinion publique se questionne de plus en plus sur le respect de la vie privée et le transport des données personnelles dans les réseaux. Cette possibilité a été prévue par le régulateur et porte le doux nom de GFU ("groupement fermé d'utilisateurs").
Malheureusement, BFCFibre, en charge du déploiement du réseau fibre dans le Migennois et le Jovinien, ne propose pas cette offre à son catalogue.
Le projet RACINE permet de combler ce manque en créant une seconde "tête de réseau" dans un bâtiment public. Plus avant, de par la nature mixte de SCANI, il est parfaitement possible d'ouvrir ce principe à des entreprises et même des associations ou particuliers qui souhaiteraient créer des réseaux fibres privés.
La saturation
Le déploiement de ce réseau est coordonné "au plus juste". La première phase consiste à repérer toutes les maisons, appartements, entreprises et collectivités susceptibles de demander une connexion fibre et de concevoir le réseau en fonction. "Il y a 10 maisons dans cette rue, on prévoit donc d'amener un câble avec 12 fibres pour alimenter toute la rue". Il y a toujours un peu plus de fibres prévues que de maisons à relier, mais probablement pas assez, principalement pour une question de coût.
Évidemment, les 10 maisons ne prendront peut être pas la fibre. Mais si 9 l'utilisent et que demain deux nouvelles maisons sont construites et qu'une entreprise s'installe sur le terrain au bout de la rue, les 12 fibres seront occupées. La dernière maison veut la fibre ? Elle attendra qu'un nouveau câble soit installé. Dieu seul sait combien de temps ça pourra prendre et même si ce sera tout simplement possible.
Le projet RACINE crée une complémentarité entre ce nouveau réseau fibre et le réseau radio de SCANI. Une saturation sur le réseau fibre ? Plus de place disponible ? On peut raccorder temporairement ou à plus long terme une maison ou un site particulièrement difficile à desservir en fibre. La qualité sera un peu inférieure, mais au moins, ce sera connecté.
Le wifi public et les endroits bizarres
Vous vous souvenez, le déploiement de la fibre commence par l'identification des bâtiments susceptibles d'être connectés. Un lampadaire est-il un bâtiment susceptible d'être connecté ? La réponse est non.
Pourtant, à Joigny (et ailleurs) certains lampadaires abritent un émetteur wifi public permettant à chacun de se connecter à internet sans dépendre de son opérateur téléphonique.
Le projet RACINE, en plus de la complémentarité radio qui permet de relier à peu près ce qu'on veut, dispose de sorties prévue à proximité immédiate des principaux points wifi public de la ville. Par ailleurs, il permet de relier à internet ou à un réseau privé quelconque des choses inattendus comme des automates de chaufferie, des appareils de surveillance du niveau de l'eau ou d'autres choses et, plus largement, tout ce qui rentre dans la catégorie "internet des objets".
La sécurisation
Vous avez peut être déjà pesté à cause d'une connexion internet en panne. Même si la faible qualité du réseau historique est souvent en cause, il peut aussi s'agir d'un incident sur un câble ou un équipement quelconque sur le trajet. L'installation de la fibre n'y changera rien : quand un câble est endommagé, ce qui passe par ce câble ne passe plus.
Le réseau fibre actuellement en cours de déploiement ne fera pas exception : il est organisé en étoile et si un câble est cassé, internet sera cassé.
La sécurisation des réseaux consiste, pour un même endroit, à amener deux (ou plus) connexions venant d'endroits distincts afin que si l'une est en panne, l'autre fonctionne toujours. Ce n'est bien entendu généralement pas économiquement pertinent pour un particulier (ça revient à payer deux abonnements, voir plus), mais pour une entreprise ou une collectivité, c'est parfois très utile.
S'il est toujours possible de commander ce type de prestation à un opérateur d'entreprise, le coût est généralement astronomique (plusieurs milliers voir dizaines de milliers d'euro d'installation et plusieurs centaines d'euro par mois).
Le projet RACINE permet, au moins le long de l'axe prévu, de proposer des chemins de connexion différents pour ceux qui en auraient besoin. La complémentarité avec le réseau radio de SCANI est également intéressante dans ce cas : si une pelleteuse a endommagé votre fibre, l'antenne sur le toit prend le relais le temps que la fibre soit réparée.
Conclusion
Ce ne sont que quelques points qui peuvent "parler à tous". Il en existe de nombreux autres. Le sujet de l'organisation des réseaux vous passionne ? Continuez votre lecture ...
[Projet Racine] Les enjeux politiques et financiers
Petite histoire de la fibre
Loin d'être nouvelle, la fibre est utilisée dans le monde des réseaux depuis l'invention du laser. C'est à partir de 1970 qu'elles commencent à être utilisées de façon industrielle pour transporter de l'information. Elles se généralisent ensuite en partant du "haut" du réseau (les gros noeuds entre opérateurs, les câbles sous marins, etc ...)
On parle beaucoup de la fibre depuis quelques mois, mais le premier réseau français permettant d'avoir la fibre chez soi a ouvert en 2004 à Pau. Oui, il y a plus de 15 ans. Ce réseau était très similaires à ce qui se fait aujourd'hui.
Une histoire de gros sous
Mais alors, qu'est-ce qui a bien pu prendre 15 ans ? Tout simplement se mettre d'accord sur qui paiera l’addition. Puisqu'il est question de tisser une toile en fibre optique qui va relier la quasi totalité des bâtiments construits dans le pays, il faut une bonne quantité de câble. Ça ne coûte pas si cher que ça le câble : de quelques centimes le mètre pour celui qui contient une fibre à quelques euros pour les plus gros (contenant 144 à 288 fibres)
Ce qui coûte le plus cher, ce sont les travaux nécessaire pour l'installer. Heureusement, il existe déjà des conduites et des poteaux un peu partout qu'on peut utiliser pour passer ces nouveaux câbles, d'autant qu'assez rapidement on va pouvoir enlever une bonne partie de ceux qui étaient déjà en place (les anciens câbles de l'ancien réseau téléphonique).
Oui mais voilà, ces conduites et poteaux appartiennent à Orange qui, par la volonté européenne, a été privatisé. Contrairement à d'autres réseaux (l'eau, par exemple) ou le réseau de transport est resté public, en matière de télécom, *tout* a été vendu.
L'état a donc demandé il y a déjà presque 10 ans quels étaient les opérateurs qui souhaitaient prendre à leur charge l'établissement de ce nouveau réseau et dans quelles zones. Assez naturellement, Orange et SFR se sont positionnés sur les gros centres urbains, délaissant les zones moins denses et nos campagnes, jugés non rentables.
Mais alors comment fait-on, pour ces campagnes ? L'état passe donc la seconde et déclenche ce qu'il sait le mieux faire : des délégations de service publique. Une DSP, c'est assez simple : l'état ou une autre entité publique (région, département, ...) agite son chéquier en disant "je voudrais faire en sorte que *telle chose* arrive, qui voudrait bien le faire ? C'est nous qu'on rince pendant X années!".
Chose à quoi une demi douzaine d'opérateur répondent, avec des montants allant du simple au double et des offres relativement différentes les unes des autres. Comme le donneur d'ordre (en ce qui nous concerne, et pour simplifier, le département) ne sait globalement pas de quoi il retourne, il va choisir en se basant sur le prix proposé et la réputation de la structure qui répond.
Et nous voilà avec Orange qui déploie donc déjà avec 3 ou 4 ans de retard les deux grosses villes de l'Yonne qui "gagne" le droit de créer un peu plus de 50000 nouvelles lignes fibre. Il est évidemment payé grassement pour ça (plusieurs dizaines de millions d'euro) et va ensuite encaisser une part non négligeable des abonnements de chacune de ces lignes jusqu'en 2034.
Mais il restait encore, après cette opération lancée en 2015, un peu plus de 100 000 lignes FTTH a construire. Nouvelle DSP, donc, cette fois ci attribuée à Altitude Infrastructure, entreprise totalement inconnue du grand public, et pour cause : c'est un opérateur qui ne vends que très peu aux particuliers. La particularité de cette troisième zone est de taille : Altitude, contre une délégation de longue durée (30 ans) a fait une offre de construction et d'exploitation de ces 100 000 lignes pour ... 0 € !
Dans la suite de cette page, ces deux opérateurs (Orange et Altitude) seront nommés les opérateurs d'infrastructure (ceux responsables du réseau) par opposition aux opérateurs commerciaux (ceux qui vendent des connexions internet aux gens). Afin de simplifier les choses, vous ne verrez jamais ces deux noms dans les prospectus. Du côté d'Orange, la société exploitante (et filiale d'Orange, donc) se nomme BFCFibre. Du côté d'Altitude Infrastructure, elle se nomme Yconik.
Un réseau morcelé
Accrochez-vous bien à votre siège ou à votre smartphone, ça va devenir compliqué.
Ces trois zones (Orange "privé" à Sens et dans le grand Auxerrois, Orange/BFCFibre "public" dans le Migennois, le Jovinien et à quelques autres endroits et Altitude Infrastructure/Yconik ailleurs) sont régies par des règles et des contrats différents. Il y a quelques points communs :
- Les opérateurs d'infrastructure qui gèrent ces réseaux ont l'obligation légale d'autoriser d'autres opérateurs à s'implanter sur leurs réseaux pour vendre leurs offres. Les divers représentants ou sous-traitants d'Orange qui affirment qu'il y a une exclusivité sur une zone mentent comme des arracheurs de dents.
- Leur responsabilité est de bâtir, autour d'un central optique (le NRO), un réseau desservant les environs, jusqu'aux boîtiers au plus proche des habitations, tout ce qui va avant (amener internet jusqu'au central) et après (amener la fibre jusque dans la maison), c'est à chaque opérateur de se débrouiller. On notera qu'Altitude Infrastructure propose, en option, de gérer ces deux segments indispensable pour les opérateurs commerciaux pour ceux (généralement des petits comme SCANI) qui le souhaitent. Ce n'est pas le cas d'Orange.
- On nous promet un département "100% fibre en 2023". 2023 c'est dans 2 ans et il y a plus de 140 000 lignes restant à construire. Même si c'était réalisable, ce qui n'est pas le cas, ce seront 140 000 ligne en fibre qui arriveront dans des boites accrochées à des poteaux ou placées sous les trottoirs. Il faudra ensuite 140 000 petites longueurs pour rentrer dans 140 000 bâtiments. Nombre d'installations moyenne pour une équipe de 2 personnes bien formée qui travaille proprement ? 3. Il faudrait donc 200 techniciens sur le pont tous les jours uniquement pour la partie liaison finale des maisons pendant 2 ans pour espérer atteindre les 100% en 2023. Nous n'avons tout simplement pas ce nombre de personnes disponible, ni dans le département, ni dans la région, ni même en France.
Vous l'aurez compris, les promesses n'engagent que ceux qui y croient. Mais ce n'est pas fini.
Un réseau public pas si public
Même si ce sont des opérateurs privés qui sont à la manœuvre, le réseau est bien publique. A l'issue du contrat actuel avec BFCFibre (en 2034), le département pourra (même si c'est peu probable) reprendre en direct la gestion du réseau fibre ou bien, plus probablement, désigner un nouveau délégataire.
Oui mais voilà, pour des économies de bouts de chandelle, le cœur du réseau (NRO), l'endroit inévitable ou tous les opérateurs doivent pouvoir mettre les pieds pour l'exploiter, est, dans le cas de BFCFibre, placé ... dans un bâtiment appartenant à Orange. C'est probablement très commode pour eux (enfin, pour leur filiale BFCFibre), et sûrement moins cher (puisque ce bâtiment dispose déjà de grosses capacités de connexion), mais on peut, du coup, sérieusement douter qu'un quelconque autre opérateur ait envie de venir exploiter un réseau dont la tête n'est accessible qu'avec l'accord d'Orange.
Dans le cas d'Altitude Infrastructure/Yconik, les NRO sont de petits bâtiments en propre (l'équivalent de la moitié d'une remorque de camion, en gros), uniquement dédiés au réseau optique, qui vont être construits et seront la propriété du département. C'est déjà ça.
Sorties de ces fameux bâtiments, les fibres empruntent au maximum les infrastructures existantes : conduites sous la routes, poteaux, façades ... Là encore, une grande quantité de ces infrastructures appartiennent à Orange à qui il faut donc louer chaque mois le droit de passage. Pour un seul câble de 48 fibres, cette location se monte à 250 € par kilomètre et par ans. Orange paie lui même, ensuite, pour chaque tronçons une redevance d'occupation du domaine public aux mairies, une somme royale allant de 35 à 55 € par kilomètre et par ans. Ah, au fait, un tronçon peut contenir plusieurs câbles, parfois des dizaines.
Il existe de nombreuses infrastructures qui appartiennent aux collectivités, réalisées à l'occasion de travaux de voiries au fil des ans ... Mais quasiment aucune n'a gardé une trace fiable et détaillée de ces travaux. Résultat, un dicton existe dans le métier : "quand il y a une conduite ou une chambre de tirage, sauf preuve du contraire, Orange considère que c'est à eux".
Le petit détail dans lequel se cache un petit diable est le suivant : c'est Orange qui indique aux mairies (qui, pour la plupart ne savent rien de ce qui se passe sous leurs trottoirs ou en haut des poteaux) le montant de la RODP qu'ils doivent payer. La mairie fait une facture avec le montant indiqué par Orange et Orange paie. Le chiffre est-il correct ? Dieu seul le sait puisqu'Orange n'a aucune obligation de fournir les plans de ses réseaux aux mairies.
La ville de Caen a, après avoir fait des pieds et des mains, réussi à récupérer plus de 4 millions d'euro en 2015 en inspectant eux-même le réseau et en recalculant de chiffre tout en tenant compte des morceaux d'infrastructure appartenant à la ville et ceux appartenant réellement à Orange.
Bref, vous l'aurez compris, comme assez souvent ces dernières décennies, l'argent public sert à financer ce que le privé juge ne pas être assez rentable pour s'y intéresser mais la grosse majorité des bénéfices que le privé parvient ensuite à en tirer reste ... dans le privé. Et on râle ensuite copieusement sur le fait que notre appareil d'état coûte trop cher.
On se consolera en se disant que l'état Français est actionnaire d'Orange à 23%, ça rapporte toujours quelques centaines de millions d'euro dans les caisses publiques chaque année.